Voilà très longtemps que je voulais lire un roman de cet auteur algérien qui, jusqu'à ce dernier roman, a beaucoup écrit sur le monde musulman. Il a, semble-t-il, totalement changé de registre puisque l'Olympe des Infortunes nous plonge dans un monde de laissés pour compte : les SDF.
L'histoire :
C'est dans une décharge non loin de la mer que des clochards ont trouvé refuge. Chacun a sa manière de vivre : le Pacha a réuni autour de lui une bande de fidèles, qui occupent le temps en buvant. Et puis il y a les solitaires : Bliss qui vit dans un container avec sa chienne, Haroun qui passe ses journées à creuser pour libérer un tronc d'arbre enseveli sur la plage... et enfin Ach le Borgne, qui a pris sous son aile Junior " le demeuré" et avec qui il partage son fourgon au beau milieu de la décharge. Ach qui clame que rien n'est plus précieux que leur liberté, qu'ils ne doivent rien à personne et que c'est cela le vrai bonheur. Un bonheur illusoire dont chacun se contente jusqu'à l'arrivée d'un étrange personnage : Ben Adam...
Voilà une lecture qui ne peut laisser indifférent. D'abord parce que le thème abordé met le lecteur face à une réalité qu'il connaît, mais bien souvent de loin. Les Sdf, on les croise dans la rue, on leur donne une pièce à l'occasion, on les voit à la télévision dans un reportage qui leur est consacré, mais finalement que sait-on d'eux? Yasmina Khadra nous plonge ici dans leur monde, au coeur de la décharge et nous fait vivre de l'intérieur le quotidien de ces marginaux. Rien ne nous est épargné de leur déchéance : alcool, maladies, bagarres... mais là où l'auteur fait très fort, c'est qu'il parvient grâce à son écriture à redonner une dignité à ses personnages. J'ai vraiment beaucoup aimé le style de Yasmina Khadra, qui mêle à merveille la poésie à la difficile réalité. En effet, ces hommes ont pour la plupart perdu tout amour-propre, ils sont sales, ils sentent mauvais, ils sont imbibés et pourtant on ne les regarde pas évoluer sans une certaine tendresse. On s'attache à eux, et au soupçon d'humanité qui leur reste. Sans doute parce que, comme nous le rappelle Ach le Borgne, ces hommes n'ont pas toujours été ainsi, et que la frontière est parfois bien mince entre leur monde et le nôtre : "Souvent, on s'en rend pas compte. La chance nous sourit tous les matins, le bonheur nous accueille tous les soirs, et on s'en rend pas compte. On s'y habitue et on pense que ce sera tous les jours ainsi. On fait pas gaffe à ce que l'on possède puis, hop! d'un claquement de doigts, on s'aperçoit que l'on a tout faux. Parce qu'on croit avoir décroché la lune, on veut croquer le soleil aussi, et c'est là que l'on se crame les ailes..." Un bel hommage à ces hommes donc.
Pourtant, je dois reconnaître que je n'ai pas adhéré à une partie du roman, celle qui met en scène le personnage de Ben Adam. Une sorte de prophète qui se présente comme "l'homme éternel" celui qui a tout connu, tout vécu. J'avoue avoir été d'abord déstabilisée, puis agacée par ce personnage. Certes, il a pour mission de mettre ces hommes face à ce qu'ils sont devenus, de leur faire prendre conscience de leur déchéance et de leur immobilisme face à la situation mais pourquoi ne pas faire intervenir un personnage ancré dans la réalité? Ben Adam, on n'y croit pas une minute... ou alors serait-ce une hallucination collective? Non, vraiment, ce personnage m'a déplu. Mais heureusement, son apparition reste brève ( moins d'une cinquantaine de pages ) et la fin du roman, que j'ai trouvée très belle, rachète en quelque sorte ce bémol.
Un grand merci aux éditions Julliard.
Edit du 18/02 : Je vous invite à aller lire l'avis de Stephie qui, contrairement à moi avait déjà lu plusieurs romans de l'auteur.