C'est grâce au forum Livraddict que j'avais pu découvrir en février les éditions Abel Bécanes. Souvenez-vous je m'étais régalée à la lecture de Tête de piaf de Philippe Crognier . C'est pourquoi j'ai sauté sur l'occasion quand un nouveau partenariat avec ces éditions a été proposé à la fin du mois de juin. J'ai ainsi pu découvrir un nouveau titre de leur catalogue qui gagne à être connu.
L'histoire :
"Et avec ceci", trois mots prononcés plusieurs dizaines de fois par jour dans un supermarché. Le supermarché d'une petite ville où tout le monde se connaît et où les rumeurs vont bon train, surtout depuis que la jeune Mélanie a été retrouvée assassinée sur le parking. Un défilé de clients venus faire leurs emplettes mais aussi en quête d'informations sur le drame. Des clients qui sont le prétexte pour l'auteur à une galerie de portraits : Zorro, le mec un peu paumé qui vit de petits boulots et vient acheter son vin chaque jour, Germain, retraité de la Poste qui a gardé un goût prononcé pour la couleur jaune, Lydie qui porte des vêtements assortis à la voiture tunning de son petit ami, Jennifer qui a su quitter un mari violent ... Des vies simples, comme le dit si bien Jean-Louis Rambour " des petites vies d'ici, barrées elles aussi, codées, vécues à force de listes de courses, de bouteilles pour arroser les dates retenues, de menus de fête, de régime, du quotidien le plus banal, le plus insipide, comme du pain sans sel, du vide, du vide, de l'incorrigible vide".
Eh bien de ce vide, l'auteur a réussi le pari de faire un très beau livre. Un livre à la fois touchant et drôle. Touchant, parce que ces personnes, bien que banales, sont criantes de vérité. On reconnaît forcément en l'un d'eux, quelqu'un de notre entourage, un ami, un membre de la famille, ou cet anonyme que l'on croise régulièrement au supermarché. Touchant parce que l'auteur a choisi de nous parler essentiellement de gens qui souffrent, qui font pitié et que ces gens il en parle avec une grande tendresse. Et une fois n'est pas coutume, je vais encore citer un passage qui illustre selon moi très bien ce petit roman : " Mais ainsi est le talent, qui d'une réalité triviale, aboutit à l'émotion". Zorro, par exemple, m'a beaucoup touchée, et pourtant qui dans la vraie vie se retourne sur le paumé du coin, alcoolique, qui va acheter son vin bon marché sur sa vieille mobylette? Mais ce petit roman n'a pas pour but de faire pleurer dans les chaumières, car il est également très drôle. L'auteur se moque gentiment de ses personnages et de l'ironie du destin car la mort n'est jamais loin. Il porte un regard amusé sur eux et ses propos sonnent toujours très justes. Certains passages sont truculents, et je vous en livre un que j'ai particulièrement apprécié : " Maintenant, pour l'enterrement, on a bien le droit d'utiliser des mots de notaires même si on n'a jamais acquis que le droit de travailler et de se taire ; des mots des affaires supérieures de la vie, des mots de la Justice, bref du grand monde. La cérémonie n'a pas lieu dans mais en l'église. Claudette n'est pas la femme de Claude mais son épouse. Le cadavre devient la dépouille mortelle, qui est inhumée dans ledit cimetière de ladite paroisse. Même Thierry Dechaunes comprend cette langue et pourrait la raper sans difficulté, le pied battant le pare-chocs pour mesurer le rythme."
Vous l'aurez compris, il y a des petits bonheurs de lecture à dénicher aux éditions Abel Bécanes que je remercie chaleureusement ainsi que Livraddict pour l'envoi.